Dans les années 1970, le papillon vitrail fait les frais de sa grande beauté : les collectionneurs le capturent à outrance et mettent les populations en danger d’extinction. Les maires de cinq communes du Queyras choisissent alors de prendre des arrêtés pour en interdire la chasse, en 1975, soit un an avant la promulgation de la première loi de protection de la nature.
Deux décennies plus tard, le Parc du Queyras, aux côtés de l’OPIE* mène un programme innovant d’étude et de sauvegarde. Des femelles d’élevage sont fécondées par des mâles sauvages et les oeufs sont installés sur des pins sylvestres locaux, leur habitat de prédilection et unique nourriture, avec un filet comme protection contre les prédateurs. Cela permet notamment de mener des études à base de phéromones et ensuite de mieux appréhender la localisation de l’espèce grâce à un système de pièges.
D’après les relevés naturalistes, son aire de répartition a tendance à augmenter encore ces dernières années. Il reste donc à espérer que les changements climatiques ne le mettront pas à nouveau en danger, notamment avec des températures en hausse en début de printemps, suivies de gelées qui peuvent alors leur être fatales…
*OPIE : l’Office pour l’information éco-entomologique était une association liée à l’INRA. Elle est ensuite devenue l’Office pour les insectes et leur environnement.Ça y est ! Le soleil et les températures ont suffisamment réchauffé l’air ambiant, fait fondre la neige, dégelé le sol. Peut-être même que la pluie des derniers jours les y a aidés. Le sarcophage peut enfin céder….
L’aile antérieure droite se déplie soudain, puis la gauche. Suivent les ailes postérieures. Ce n’est pas encore le temps de les sécher, d’abord celui de s’extirper de cette litière salvatrice durant l’automne et l’hiver précédent. Parfois même durant plus d’un an et demi ! Il faut dire que la plus longue période de vie de cet animal n’est pas la plus visible. Elle est souterraine et immobile, au stade nymphal, en diapause. Mais elle est tellement nécessaire. D’abord, pour se protéger des frimas de l’hiver. Ensuite, surtout, pour permettre la métamorphose. Cette transformation qui engendre l’adulte (l’imago), tellement reconnaissable, esthétique et charismatique. Un papillon aux ailes vertes translucides avec des nervures couvertes d’écailles rougeâtre.
L’alien est enfin sorti de terre ! Celui-ci est un mâle identifiable aux antennes pectinées et au prolongement de ses ailes postérieures. Une fois complètement séché, il ne lui reste qu’une seule chose à faire : Perpétuer l’espèce ! Pour cela, il doit percevoir les effluves émis par une partenaire, les suivre jusqu’à leur origine et s’accoupler. Mais pas de temps à perdre, il ne lui reste que 4 à 5 nuits à vivre. Et 10 degrés Celsius minimums sont requis pour permettre le vol et la recherche active. Rien d’insurmontable lorsque l’émergence a lieu en mai ou en juin….
Voilà que depuis 2 ans des observateurs nous font connaître leur observation de papillon Isabelle de France, souvent des mâles, dès le début avril. Le 3, le 7, le 10 ou le 13 du mois. Photos à l’appui, cela n’a rien d’un poisson. Ni d’une blague. Les observations n’ont pas lieu dans les basses vallées, ouvertes, mais perchées en altitude à 1400 m et plus haut, dans des vallées encaissées ! Dans le Queyras ou la Vallouise. Précisément là où les terrains sont tous juste sortis de l’hiver. Parfois pas tout à fait même. Les gelées y sont régulières et fortes, la neige encore abondante en ubac et les adrets ne baignent pas dans les rayons de soleil d’un mois plus tard. Localement, il existe bien des brises thermiques qui peuvent expliquer l’errance de ces individus. Par places, des microclimats très localisés aussi. Dame nature ne mettant pas ses œufs dans le même panier, créée des individus précoces, des tardifs également. Le biais observateur qui est parfois mis en avant pour certaines observations exceptionnelles, tous taxa confondus, reste le même depuis 10 ou 20 ans dans ce cas. Ce sont les mêmes personnes, installées depuis autant de temps, aux mêmes activités saisonnières, qui observaient il y a encore peu des papillons vitrail en mai, voire en juin.
Le dernier individu contacté de ce type date du 6 avril, dans la vallée du Cristillan. Il s’agissait d’un mâle fraichement émergé compte-tenu de son relativement bon état physique. Il a été retrouvé mort, posé sur la neige, en ubac à 1450 m d’altitude. La veille, la journée avait été douce. A minima l’après-midi. Le lendemain, il neigeait ! Sans que l’on puisse affirmer que ces observations soient liées aux modifications climatiques en cours, on est en droit de se demander si ce papillon a pu délivrer sa semence comme prévu. A-t-il pu trouver une partenaire aussi précoce ? Si accouplement il y a eu, les œufs produits de cet union sont-ils viables ? N’ont-ils pas gelé, eux qui sont posé délicatement par la femelle sur des branchettes de Pin sylvestre plutôt isolés ou en lisière de forêt, éloignés de la zone de tampon, du refuge, que peut procurer le peuplement forestier ? Ne vont-ils pas le devenir ? Et qu’en sera-t-il des chenilles qui vont éclore d’ici 10 à 15 jours ?