Lorsqu’un agent du Parc naturel régional du Queyras a rencontré mardi 18 juin dernier un Gypaète barbu, une tête noire (un individu de moins de 3 ans donc), au-dessus des traces des premières exploitations cuprifères de Saint-Véran, un temps, il a cru une rencontre avec les 4 éléments. La terre, ce gisement cuprifère, cette mine exploitée dans les années 1960. L’eau, les névés encore en place et les nombreuses sources qui sourdent sur les flancs de la montagne. Le feu, l’abattage et le dépilage par le feu, extraction ancestrale de tous minerais. L’air enfin, ce Gypaète posé là, voltigeur malgré sa taille, qui sait voler par mauvais temps et sans ascendance thermique.
« Qu’importe la saison et quoi que l’on y fasse, dès que l’on pose les pieds là-haut on touche au sacré ! »
Il faut dire que le spécimen observé par l’agent du Parc a été particulièrement sympathique : le survolant régulièrement, réalisant des rase-mottes, se posant même, marchant jusque dans un névé, y laissant ses traces. En décollant enfin, survolant l’Alp de Beauregard, ce qui ne fut pas du goût des marmottes affolées par cette silhouette imposante bien qu’inoffensive. En effet le Gypaète barbu est un nettoyeur, un casseur d’os qu’il récupère sur des cadavres et qui constitue la majeure partie de son alimentation.
Identifié par l’agent grâce aux marques alaires dont il dispose depuis son lâché dans la nature, il s’agirait de Sargas. Après quelques vérifications auprès du coordinateur du suivi de l’espèce dans le Parc national du Mercantour, l’identité est confirmée : Sargas est un oiseau dont l’histoire peu commune mérite d’être racontée :
Sargas est un spécimen né en centre d’élevage en Andalousie le 30 janvier 2023. Grace au programme Life Gyp’ACT, il est relâché en milieu naturel le 4 mai 2023 dans l’Aveyron. Ce programme européen prévoit entre 2022 et 2028 de réintroduire cette espèce et de réduire les menaces qui pèsent sur ses populations. Il fait suite au programme Gyp’CONNECT (2015-2022) qui souhaitait réintroduire des gypaètes dans le Massif central et la Drôme pour favoriser des échanges d’individus - et donc de gênes ! - entre les populations pyrénéenne et alpine.
Certaines plumes de Sargas ont été décolorées avant son lâché, fin de faciliter sa reconnaissance visuelle à longue distance, en même temps qu’il fut bagué. Mi-juillet 2023, en difficulté, Sargas a été observé dans le département de la Manche ! Comme nombre de ses congénères encore jeunes, Sargas a effectué de longs périples et le dernier l’a conduit vers le nord, où la pitance est difficile à trouver et les courant atmosphériques pour rejoindre des contrées plus méridionales et montagneuses rares.
Sauvé par des agents de l’Office français de la Biodiversité (OFB) et immédiatement rapatrié dans un centre de la Ligue de Protection des Oiseaux du sud de la France, il est requinqué par les soins prodigués et relâché le 27 juillet, à nouveau dans les Grandes Causses.
Avant son observation à Saint-Véran le 18 juin 2024, il a traversé la vallée du Rhône le 13 juin vers Toulon, puis le Mercantour et rejoint le Queyras. Il se trouvait en Vanoise le 21 juin. Il reviendra peut-être en Queyras pour s’y installer, nous l’espérons ! D’autant que des observations de plus en plus régulières de plusieurs individus ensemble sont réalisées depuis plusieurs moins déjà. Notamment à l’Est, près de la frontière italienne, où nos homologues transalpins évoquent également une recrudescence d’observations.
Ecoutez attentivement, à l’occasion de votre passage à proximité de la mine de cuivre si vous entendez des bruits de cassage, ne vous laissez pas aller à croire qu’il s’agit de mineurs en quête de métal rouge. Levez les yeux au ciel. Par chance, il se pourrait qu’un vautour barbu au ventre couleur cuivre profite de la présence de la casse du Queyron pour briser quelques os à se mettre dans le bec. Et pourquoi pas, en observant attentivement, reconnaîtrez-vous Sargas !